samedi 30 août 2008

Les leçons - Jeanne

"J'ai soif, tellement. Tellement d'amour en moi que le contenir exige la plus grande maîtrise, que je n'ai pas. Alors je glisse et me blesse, je me gaspille et on me laisse. Autant donné aux nécessiteux. Et m'avilir un peu plus encore."

Jeanne se prépare, installe et place ses outils, se met à l'aise. Il faut avoir à portée, téléphone, crayon et cahier. Très variable la clientèle ici. Du parfait gentleman au plus tordu spécimen, tout le spectre y passe, z'avez pas idée. L'idéal est de se mettre en position d'ouverture neutre et bienséante, avec tout juste un brin de joviale sensualité, on ne sait jamais sur qui on va tomber. Car voyez-vous, pour certains, grands efforts furent déployés pour seulement prendre le combiné et retenir la séquence à numéroter. Imaginez les entrées en matières de ces fringants mais tristes paumés. On les prend presque par la main pour aboutir au sujet de leurs attentes. D'autres sont devenus des familiers au fil du temps, avec, bien entendu, quelques variantes.

Il y en a 3 qui depuis des mois entretiennent avec moi un semblant de lien, qui bien que courtois, prend quelques fois des chemins plutôt grivois. Ils décorent ces moments étranges de la vie de Jeanne avec une régularité qui devient angoissante; j'y reviendrai.

Gerry-le-retraité-ayant-repris-du-service-dans-une-grande-surface débute habituellement par du blabla anodin, plat et vain, dont la durée s'ajuste à l'urgence de son besoin, pour ensuite introduire sans élégance son lubrique dessein.

Maître Réjean, le contremaître, cherche une oreille compatissante pour parler de son patron et de son gagne-pain pour faire semblant d'avoir une compagne au quotidien mais exprime sa frustration par un désir de domination, sans subtilité, sans censure, sans modération.

Gérald du Nord, agriculteur esseulé laissé à lui-même, avec femme, enfants et petit-enfants, il est au bord du vide mais il travaille avec acharnement pour maitenir la cohésion de son patrimoine, il n'aborde jamais le sujet du sexe, il est très touchant, surtout quand il s'inquiète de prendre de mon temps.

Rares sont ces soirées où ces trois messieurs ne se présentent à l'appel. Jeanne l'objet; Jeanne-la-soupape-jouet; Jeanne-l'amie-gentille. Et là je n'aborde pas les exigences et habiletés adaptatives nécessaires pour les absences de subtilités de langage, la soumission et l'attitude attendue, du fait qu'il ne faut déroger de la rigidité de l'image conçue.

Jeanne est juste un autre jeu de ma voix et j'en use.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant !

C'est fascinant tout ce que la solitude, le manque, la frustration peut faire faire aux gens...

Moi aussi je vois des esseulés comme ces gens qui vous appellent et qui n'ont besoin que de vider leur trop plein de solitude à quelqu'un de neutre, un garant d'Anonymat... Tiens, j'en ai vu un autre ce soir.

Nous sommes de nouveaux prêtres en quelque sorte...

Perséphone a dit…

Prêtresse moi? Hmmm...je m'offre à l'autel plus que ne ne m'y appuie. Quoique derrière cet abandon, ce don de soie de moi, dissimulé dans la fragilité, le pouvoir primordial de la matrice est indéniable et fait son oeuvre subrepticement.
J'ai décidé d'être d'accord avec vous ;-)